De courts articles sont occasionnellement publiés à propos du projet URBAN UTOPIAS (livre+exposition) ou des villes de La Grande Motte, Brasília et Chandigarh.
Short articles are published occasionally about the URBAN UTOPIAS project (book+exhibition) or the cities of La Grande Motte, Brasilia and Chandigarh.
Cosmos, à hauteur d’homme
par Claude-Marin Herbert, musicologue, chargé de collections musiques à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou
« Des mondes et des ciels au-dessus de nous » : le poème de Carole Lenfant que le compositeur Fabrice Jünger a choisi comme titre résonne, sur le flanc tribord de la péniche, avec une scène de la vie quotidienne à La Grande Motte photographiée par Stéphane Herbert – deux silhouettes se mouvant au sein d’un volume architectural relativement restreint (un patio). Mais un volume où tout l’air, toute la pierre, l’eau, la verdure et la lumière semblent en co-présence. Entre le caractère presque commun de la scène et l’inspiration cosmique du poème, le contraste, voire l’opposition, ne sont qu’apparents : l’architecture n’a-t-elle pas pour dessein d’articuler la vie humaine à des données redevenues commensurables – des mondes, des ciels dont chacun, grâce à elle, peut prendre à nouveau pleine mesure ?
« Des mondes et des ciels au-dessus de nous« , la pièce musicale de Fabrice Jünger combinant voix parlées, paysages sonores et textures synthétiques abstraites, fonctionne sur un principe de tuilage analogue entre ces différentes échelles : intime, extime, cosmique. Comme sur un grand nombre des photographies prises par Stéphane Herbert, c’est la présence humaine qui soustrait le monde à l’indifférence, et l’univers à son possible néant. Les trois voix (l’une masculine, les deux autres féminines) qui se répondent, en trois langues (français, portugais du Brésil, anglais de l’Inde), traversent en passantes mi-introspectives mi-contemplatives les paysages sonores bruissants du flot de la rue, de la fête, du tintement des cloches et de la rumeur des villes. Dans un registre plus symbolique, les harmonies tantôt extrêmement consonantes, tantôt bien plus mouvantes (rappelant le style d’un Brian Eno qui n’aurait pas renoncé à peupler ses « ambiances ») figurent une sorte d’espace plastique aux teintes nocturnes, profondes.
Consciemment ou non, ces trois strates ne renvoient-elles pas à la scénographie globale de l’exposition ? Dans le rôle de la voix humaine – le « nous » du poème -, les photographies. Dans celui de l’immémorial cosmique – des « ciels »-, la lumière entrant par les baies de la péniche, les eaux du fleuve sur lequel elle flotte. Dans celui des « mondes » : la ville alentour, le bruit du métro aérien, des lieux branchés voisins, les visiteurs de l’exposition et tout ces mondes qu’ils transportent – ce qui les transporte.
Création sonore « Des mondes et des ciels au-dessus de nous » (28’24’’) de Fabrice Jünger, composée pour l’exposition « villes rêvées, villes habitées / URBAN UTOPIAS / La Grande Motte – Brasília – Chandigarh »
Un voyage dans le voyage
par Stéphane Herbert, photographe
Fabrice Jünger a parfaitement exprimé l’idée d’un voyage, d’une méditation depuis les plages de la Méditerranée jusqu’au Brésil et jusqu’en Inde. Alors que nous sommes par exemple sur un des « autels » de la Promenade des Vents au coeur de La Grande Motte, il invite un puissant cantique de la culture afro-brésilienne, un chant appelant la divinité de la mer Odoyá Yemanjá. Nous pouvons par ailleurs sentir la densité humaine de l’Inde matricielle. Et que dire de l’arrangement instrumental avec ses variations, ses envolées, ses transitions, ses intrusions, ses résonances, ses percées, ses rappels, ses graves, ses aigus, … Toutes ces sonorités, rythmées par la poésie de Carole Lenfant, transportent littéralement. La conclusion en forme d’apothéose prolonge le voyage dans la grâce d’une projection… Dans la nuit… Dans un espace organique… Dans l’inconscient… A l’invitation des cloches… De la cloche de l’église de Saint-Augutin ? A moins que ce ne soit celle de la chapelle Nossa Senhora de Fatima ? Puis de la ghanta de Durga pour entrer dans le Gange ou dans le son parfait du Om. Pour enfin retourner à la mer. Pour retourner au divin mystérieux et au silence après les « bruissements » du reptile et de la vague.
A la dernière page de notre livre, nous avons retenu une citation d’Ornette Coleman pour conclure sur une note musicale : « Beauty is a rare thing ». Merci infiniment à Fabrice Jünger d’avoir participé au projet URBAN UTOPIAS avec cette belle soundtrack résonnant magnifiquement dans la nef de la péniche « Louise-Catherine / Le Corbusier » qui accueille notre exposition sur les berges parisiennes en ce mois d’octobre 2015. Grand merci également à Carole Lenfant (poésie + voix française), Natan Barreto (voix brésilienne) et Meenu Enfraze (voix indienne).
Création sonore « Des mondes et des ciels au-dessus de nous » (28’24’’) de Fabrice Jünger, composée pour l’exposition « villes rêvées, villes habitées / URBAN UTOPIAS / La Grande Motte – Brasília – Chandigarh »
Vacillements
autour de Racines de Lucinda Groueff
par Anne Jarrigeon, anthropologue, vidéaste, maîtresse de conférence à l’École d’urbanisme de Paris
A l’arrière de la péniche Louise-Catherine, dans le creux sombre de la cale, la vidéo de Lucinda Groueff, projetée à même le mur, fait rayonner l’incandescente lumière de La Grande Motte. Le blanc éblouissant des constructions et sculptures de Jean Balladur et Michèle Goalard s’étire et semble, sur le bord accidenté de l’image, repeindre le béton brut du bateau. Transfert de lumière, transfert de couleur sur ce matériau de prédilection utopique, ici comme là-bas.
Succession de longs plans fixes, l’œuvre de Lucinda Groueff apparaît d’abord comme une quasi photographie. Le visiteur curieux se penchera pour mieux voir. Il se saisira peut-être des casques à disposition pour se soustraire à l’ambiance sonore de l’exposition et se retrouver sur les bords de la Méditerranée. Crissement des pas dans le sable des allées, souffle du vent, rires d’enfants recomposeront pour lui l’atmosphère de la péniche. Peut-être même aura-t-il envie de s’arrêter tout à fait, de prendre le temps d’attendre la séquence suivante et ressentira-t-il alors le bateau tanguer discrètement. Peut-être éprouvera-t-il le vertige suscité comme un écho aux infimes mouvements de la caméra qui, malgré sa fixité apparente, ne semble pas avoir été posée sur un pied.
Plancher vacillant, soudain fragile, comme sont devenues ces « racines cosmiques », de La Grande Motte à laquelle est consacré le film. Lucinda Groueff cadre en plan large les lieux ou plus précisément ces « incidents sculpturaux » conçus par leurs créateurs, Michèle Goalard et Jean Balladur, pour créer un « sol originel » à la ville nouvelle. Michèle Goalard se remémore en voix off les principes de ces réalisations à « valeur d’usage », réponses concrètes à la préoccupation de Jean Balladur de donner une « âme » à son architecture. Ils ont conduit à des formes symboliques très fortes, à la fois œuvres aux noms évocateurs – « Les Tramontanes », « Le Labech », « Les vagues », « La Terre » … – et éléments d’un terrain d’exploration et de jeux.
« Jeux interdits et dangereux », peut-on désormais lire sur des pancartes fixées sur les sculptures elles-mêmes. Puis la vidéo, par l’efficacité redoutable de son montage, nous donne à entendre le son assourdissant de voitures précisément là où elles sont depuis l’origine interdites d’accès. Cette collusion avec une vue du tracé piétonnier de Jean Balladur fait soudain émerger un doute quant au devenir des lieux.
Quoi de plus approprié qu’un bateau pour déstabiliser la perception des ancrages fragilisés par l’évolution des usages ?
Video art « RACINES » (18’16’’) de Lucinda Groueff, réalisée pour l’exposition « villes rêvées, villes habitées / URBAN UTOPIAS / La Grande Motte – Brasília – Chandigarh »
Brasília, la toujours désirable
par Patrick Piro, journaliste
La magie opère-t-elle encore aujourd’hui ? Retour dans la capitale brésilienne, dix ans plus tard, histoire de voir si nous voulons encore l’un de l’autre.
J’avais fini, un jour, par comprendre la géographie et l’organisation de cette ville-cuvette, cette ville-artère, cette ville de béton et d’arbres sous le ciel, ses superquadras et leur numérologie. Mais ce n’est pas moi qui conduisait, il y a dix ans. Aujourd’hui, il fait nuit au sortir de l’aéroport et le gars de la location m’a dit « c’est simple, au deuxième pont, trois quarts de tours sur la tesourinha, et c’est la première sortie sur la voie rapide ». La tesourinha, c’est un des échangeurs parmi les centaines que compte la tentaculaire agglomération de Brasília, dont le fameux Plan pilote dessiné par Lucio Costa et Oscar Niemeyer joue aujourd’hui le rôle de l’Île de la Cité pour Paris.
Je suis tendu. Je dois rejoindre la maison d’une amie dont la localisation a résisté à plus d’une heure de quête sur internet, une chácara dans une Colônia agrícola de la ville périphérique de Guara II. « Prend un GPS », a-t-elle répondu catégoriquement à ma demande d’indication routière. Je ne m’en sers jamais.
Je n’ai pas pris le deuxième pont, intuition, aucune indication ne m’y confortait. Au bout de 500 mètres, je navigue déjà au pifomètre. Je sue au milieu du flux fluide des voitures qui savent où elles vont. Je demande une dizaine de fois mon chemin. On ne connais pas, ou bien si, une autre adresse qui ressemble. Cul-de-sac, marche arrière, volutes. La ville ne m’a jamais semblé aussi hostile, livrée au bitume, aux moteurs, au béton. Et puis enfin un gars avec son chien : il sait parfaitement où se trouve la chácara, sa mère habite dans le coin. Inès ne m’attendais plus. « J’étais persuadée que tu t’étais arrêté dans un hôtel pour attendre le jour… » Se coucher sur place, comme un gars perdu en forêt. Je redresse la tête, Brasília à mes pieds, au loin, des hauteurs de Guara II. Veut-elle encore de moi ?
Le lendemain, je plastronne presque. Un déjeuner au Beirut pour fêter ça ! C’est une institution de Brasília, l’un des premiers resto à s’y être installé. Le trafic est dense. Sous un pont, la doutora Dayane affiche son téléphone pour toute intervention au moyen de cartes, de boule de cristal, de tarots ou de buzios, ces petits coquillages essentiels à la science divinatoire. Retour de l’amour garanti : Brasília entretien son mysticisme débridé au cœur du tracé rectiligne des architectes de la modernité à la brésilienne. Les ipês jaunes sont en fleur, et la végétation a encore grandi depuis mon dernier passage. La ville respire, et moi aussi, détendu devant l’énorme assiette que l’on vient de déposer devant moi. Le Beirut, terrasse ouverte sous les immeubles, est traversé de conversations à peine affairées et de passants. Le vent est tiède et la bière très fraîche, Raquel me tire de l’assoupissement post-tournedos avec son irrésistible présentoire à brigadeiros aux couleurs flashy.
Marcher, vers la place dos Três poderes, pour digérer un peu la ville. La cathédrale est toujours un havre de paix, en dépit du flot des visiteurs. On a installé des miroirs sur l’allée qui conduit à l’autel, à la demande des mariés qui vont s’unir ici dans une heure. De génération en génération, on se révèle l’antique secret acoustique de la paroi incurvée qui transporte aussi bien qu’un smartphone un message chuchoté une trentaine de mètres plus loin.
Sur le trottoir, en mission, une jeune femme à l’accent argentin et au regard forcément doux tente de me convaincre d’accepter ses sept graines d’açai, palmier bienfaiteur des contrées amazoniennes. « Il faut les mettre en terre où que vous viviez afin de propager un message d’amour envers la Terre mère. » « Dites non à la haine ! », proclame un panneau, un peu désespéré. Car sur l’esplanade herbeuse où trônent les édifices concentrant les Trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire), les graines sont à la colère et à la violence. Il y a dix ans, ce sont les paysans sans-terre qui venaient rencontrer le président Lula pour réclamer l’application de la réforme agraire. Et trente ans après la chute de la dictature militaire, suivie d’une campagne pour les « Direitas já ! » (le suffrage universel tout de suite pour la présidentielle), de grands panneaux haranguent pour une intervention « constitutionnelle militaire sans attendre ». Les « patriotes » nostalgiques de l’ordre casqué et castrateur vomissent la démocratie brésilienne à plein slogan, alors que le pays est secoué de scandales de corruption et par la stagnation économique.
Signe des temps, les écologistes leur volent une petite place, alertant sur les ravages du carburant à l’éthanol : l’extension des plantations de canne à sucre provoquerait localement, en modifiant le régime hydrique, jusqu’à 60 % de diminution des pluies. Passe un Bike Brasília orange : la ville, où il est inconcevable de vivre sans voiture, s’est mise à la location de vélo en libre service. Brasília, dont les avenues-fleuves engloutissaient sans peine le trafic, voit venir l’engorgement. « Nous n’avons pas fait notre révolution mentale, déplore Inès. Ici, on offre une voiture pour les 18 ans de son enfant… » À Guara II, on ne s’y attendait cependant pas, a percolé cette civilité brasilienne qui nous avait étonné dix ans plus tôt sur le Plan pilote : quand traverse un piéton, le trafic s’arrête. Espoir.
Brasília : premières impressions
Nina Piro, étudiante
Je suis en famille au Brésil. Et aujourd’hui on prend la voiture, direction la capitale… Brasília ! Je n’y suis jamais allée. La ville m’intrigue, elle n’a que trois couleurs et elle semble toute plate avec des monuments qui montent vers le ciel… vierge de nuages ce jour là. Équipée du Nikon de mon père, je me balade et profite des trois petites heures de notre excursion pour visiter ce lieu nouveau, entrer dans la Cathédrale Métropolitaine et simplement marcher dans la rue. Voici une petite sélection de ma série, pour résumer en quelques images cette après-midi de découvertes.
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